Analyse à partir de deux scénarios |
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Scénario conventionnelLes problèmes historiques du transport dans la
Communauté Autonome Basque, peuvent se résumer
comme suit : · La forte hégémonie du transport routier, progressivement
renforcée par le grand flux de camions en transit
et l’intense trafic de certaines zones, est l’un des
principaux facteurs de la grande congestion existante.
Et le chemin de fer est un mode résiduel pour le transport
des marchandises, avec une part de marché inférieure
à 2%. |
Professeur de l’Université du Pays Basque (UPV) |
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· Le déficit d’infrastructures ferroviaires et la précarité
de la majorité de celles existantes, incapables de répondre
à la demande de déplacements quotidiens, excepté
le Métro de Bilbao et, en bien moindre mesure, certains
tronçons ferroviaires de banlieue d’Euskotren, RENFE et
FEVE. Ainsi que l’inexistence, dans la pratique, d’un train régional
à longue distance. Sans oublier la précarité du transport
en autocar, excepté celui reliant les capitales et certaines agglomérations
métropolitaines.
La réponse unique des institutions du Gouvernement Basque
est la promotion de nouvelles infrastructures, qui présenteraient
plusieurs avantages : impulser la compétitivité et le développement
économique, renforcer la structuration et la cohésion
territoriale et sociale en assurant une accessibilité homogène
sur tout le territoire, garantir la durabilité du système
des transports, rétablir l’équilibre entre les différents modes de
transport et permettre l’insertion du système basque dans le
contexte international. Le fait que les Conseils Provinciaux
comptent davantage de ressources financières que le Gouvernement
Basque explique, notamment, l’intense effort réalisé
en construction routière,
qu’ils monopolisent,
et qui fait que la précarité
du réseau ferroviaire
intérieur (compétence
du Gouvernement
Basque) persiste.
Selon les institutions
gouvernementales,
la Communauté Autonome
a nécessairement
besoin de structures
ferroviaires à grande
vitesse (TGV) reliant
les trois capitales et qui
permettraient, en outre,
une « liaison avec l’Europe ». Les différentes
provinces présenteraient, selon elles,
de graves déficits en infrastructures de transport.
Ainsi, le Bizkaia réclamerait à grand cri
un nouveau périphérique à Bilbao (Supersur),
le prolongement du corridor du Txoriherri,
etc. ; le Gipuzkoa un nouveau port (extérieur)
à Pasaia, l’agrandissement de l’aéroport
de Hondarribia, un nouveau périphérique
à Donostialdea et peut-être aussi un
métro, etc. ; l’Araba un grand centre logistique
(Araba Sur), l’achèvement des travaux
(de même qu’au Gipuzkoa) de l’autoroute
Eibar-Vitoria et la réactivation de
son aéroport, etc.
L’argument selon lequel la prolifération des infrastructures
contribue fortement à la croissance économique est sans fondement.
Nombreux sont les économistes des transports qui considèrent
que, dans les pays industrialisés, une fois un certain niveau
normal atteint, l’excès d’infrastructures peut entraîner
des conséquences économiques négatives. Le rapport britannique
SACTRA (1999) affirme qu’il existe un seuil de transport audelà
duquel une plus grande mobilité entraîne des effets nocifs
pour l’activité économique et les pays industrialisés ont déjà
largement atteint ce seuil. Le rapport Eddington (2006) confirme
ces conclusions : « Historiquement, les nouvelles liaisons ont
joué un rôle important durant les périodes de rapide croissance économique, mais les économies mûres (…) doivent centrer
leur politique et investissements sur l’amélioration de la productivité
des réseaux de transport existants ». La Cour des
Comptes française critique, en 2006, que les études de rentabilité
socio-économique qui visent à justifier la construction de
grandes infrastructures soient manipulées, en exagérant les bénéficies
et en sous-estimant les inconvénients. Et elle affirme
également qu’ « il faut accorder une plus grande priorité aux investissements
pour la rénovation des équipements que pour le
développement de nouvelles infrastructures ».
Compte tenu des dimensions réduites du Pays Basque, les
institutions gouvernementales ne peuvent alléguer, comme elles
le font auprès de l’UE et de l’État espagnol, que le TGV contribue
au rééquilibre modal, en réduisant le nombre de passagers
aériens. Elles cherchent alors un nouvel argument : sa reconversion
en ligne mixte, susceptible de soulager la congestion
routière, par la réduction des passagers et des marchandises sur
les routes, ainsi que des émissions de CO2. Mais il n’y a pas de
lignes mixtes dans le monde, excepté en Allemagne (où il existe
une seule ligne de TGV, dûment aménagée à cet effet : pentes
douces, aires de stationnement en abondance et trains circulant
à 140 Km/h, mais uniquement réservée aux marchandises
à faible poids et haute valeur commerciale) et le projet Euromed
(vu l’impossibilité de construire une nouvelle ligne sur la
côte méditerranéenne et les coûts élevés de maintenance que
cela entraînerait). Dans le cas qui nous occupe, le flux de marchandises
est peu élevé, car la rénovation de la ligne ne tient
pas compte des besoins spécifiques du transport des marchandises,
comme le souligne le Rapport Davignon (2008), du Coordinateur
Européen pour le Transport Pyrénéen : « Les lignes présentent
des pentes excessives et le peu de postes de dépassement
et de stationnement ne facilitera nullement le transport
des marchandises ». Une ligne exclusivement limitée à la liaison
entre les trois capitales ne peut contribuer à la cohésion territoriale
du Pays Basque. La démagogique « liaison avec l’Europe
» s’avère impossible, car le gouvernement français refuse
de prolonger le TGV français jusqu’à la frontière. Et, de plus, le
TGV ne réduit pas les émissions de CO2, bien au contraire, comme
l’affirme un récent rapport de l’administration ferroviaire
suédoise : le TGV consomme le double d’énergie qu’un train
conventionnel.
Le gouvernement basque affirme (en 2007) que le TGV basque
permettrait de libérer le réseau conventionnel, qui serait
ainsi destiné aux marchandises : « Outre la possibilité de circulation
des marchandises, la ligne à grande vitesse permettrait
de libérer les tronçons actuellement utilisés par les lignes à longue
distance et la plupart des trains régionaux ». Mais il ajoute
que ce réseau n’est pas adapté au transport des marchandises :
« Le trafic des marchandises sur l’écartement des rails ibérique
n’a guère évolué depuis des années, compte tenu de l’existence
de toute une série de zones critiques qui limitent sa capacité
». Ces zones critiques sont le col d’Orduña et la liaison Alsasua-
Zumarraga. Un autre inconvénient de la réalité basque est
que les marchandises issues de l’industrie basque qui passent
par le port de Bilbao sont très lourdes. RENFE écarte la possibilité
de lignes mixtes, ce qui implique que les camions en transit
vers le Nord seront obligés de transférer leur chargement au
TGV à Vitoria.
Il est également absurde de prétendre éliminer la congestion
routière avec la construction de nouvelles routes. Personne
n’y est encore arrivé et n’y arrivera jamais car, tel que l’affirme
le Livre Blanc des Transports de l’UE (2000), lorsqu’une
nouvelle infrastructure routière est créée, la nouvelle demande
latente qui s’active finit par la saturer.
Le pétrole apporte 98% de l’énergie consommée par le transport,
dont 74% par le transport routier. Ce même ratio est celui
La mobilité
L’argument selon
lequel la
prolifération des
infrastructures
contribue fortement
à la croissance
économique est
sans fondement
Argazki Press
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de la Communauté Autonome Basque, mais avec une tendance
historique à la hausse : un accroissement supérieur à 3% en moyenne
entre 1996-2007.
Nul doute aujourd’hui que le pétrole commence à s’épuiser.
Une réalité dont témoigne la stagnation de l’offre de pétrole
durant la période 2005-2008, qui a fait s’envoler le prix du baril
jusqu’à atteindre les 147 $ en juin 2008. Ensuite, la crise
(magnifiée par l’escalade des prix) provoquait une réduction de
la demande et la chute du prix du baril jusqu’à 32 $. Mais tous
les experts considèrent que le pétrole a atteint son plafond (sa
capacité maximale d’extraction) en 2008. Ce qui expliquerait
en quelque sorte sa récupération (début novembre 2009, il se
situait autour de 80 $/baril), alors que la récupération de l’économie
mondiale ne semble pas suivre. Il est donc fort probable
que la relance de
l’économie entraîne
une nouvelle flambée
du prix du pétrole, voire
supérieure à celle de
2008, ce qui provoquera
une nouvelle crise économique,
longue et profonde.
Fatif Birol
(2007), économiste en
chef de l’Agence Internationale
de l’Énergie
(AIE), affirme que « si
l’on ne prend pas rapidement
des mesures
courageuses (…) notre
système énergétique risque de dérailler. C’est le message que
nous tenons à transmettre ». Raison pour laquelle l’AIE encourage
vivement les gouvernements à réduire rapidement leur dépendance
au pétrole. La Commission Européenne elle-même a
finit par admettre le problème. Sa communication « Un avenir
durable pour les transports » comporte un chapitre sur la « Raréfaction
des combustibles fossiles » (COM–2009– 279/4).
Ce plafond du pétrole va bouleverser profondément le système
des transports, bien qu’il s’avère difficile d’en évaluer l’ampleur.
Mais nul doute que beaucoup de personnes devront renoncer
au véhicule particulier pour leurs déplacements quotidiens
et qu’un transport public efficient sera donc indispensable.
Dans un tel contexte, il ne semble guère opportun de continuer
à construire des routes ; il convient, par contre, de moderniser
et de prolonger les lignes ferroviaires et d’améliorer
les transports en autocar. Pour ce faire, les Conseils Provinciaux
devront collaborer avec le gouvernement basque, comme dans
le cas du Métro de Bilbao.
Le transport aérien se voit également fortement touché par
la crise et les fusions entre compagnies vont continuer à se succéder.
La majorité des compagnies low cost sont condamnées
à disparaître, car le prix élevé des combustibles entrave la possibilité
de réduire les coûts. De nombreux petits aéroports se
verront forcés de fermer, incapables d’affronter leur déficit.
Parmi les 47 aéroports espagnols gérés par l’État, seuls sont actuellement
rentables ceux de Madrid, Barcelone, Malaga, Palma
et Alicante. Ceux de Hondarribia et Vitoria sont destinés à
disparaître.
Quant au transport des marchandises, les processus de transfert
de la route au rail et à la mer s’intensifieront sur les longues
distances. La demande de transport sur rail s’envolera, à condition
de disposer d’une infrastructure acceptable. Le TGV basque
(l’Y basque) devra, par conséquent, être adapté afin d’accorder
priorité aux marchandises, quelle que soit sa situation
lorsque la crise énergétique éclatera. Davignon est convaincu
que les deux corridors ferroviaires transpyrénéens seront aménagés
pour ce faire : « Je suis maintenant encore plus convaincu
(qu’au début de mon mandat) que ces infrastructures doivent
essentiellement évoluer vers le transport des marchandises
(Davignon, 2008: 12).
Le trafic maritime de marchandises se verra renforcé, mais
la construction du port extérieur de Pasaia ne semble pas fondée,
compte tenu de la dépression économique que provoquera
la crise énergétique et que le port de Bilbao est déjà actuellement
largement surdimensionné.
Il ne s’agit donc pas uniquement d’adapter les différents
modes aux nouvelles circonstances, mais de veiller à l’amélioration
permanente du système des transports. Le « Livre Vert »
des transports de la Commission Européenne recommande « des
efforts soutenus pour l’utilisation plus efficiente des infrastructures
». Et il va même plus loin en proclamant l’échec de la
politique antérieure de promotion d’un réseau ferroviaire européen
à grande vitesse (le RTE-T) et en déclarant (face à la nouvelle
situation) que « la démarche politique doit faire l’objet d’une ample révision » (COM–2009– 44 fin).
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